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Le blog de Tout n'est que litres et ratures par Roger Feuilly

Au quotidien, la cuisine selon les saisons, les vins selon l'humeur, la littérature qui va avec, les bistrots et les restaurants, les boutiques qui nourrissent le corps et l'esprit, bref tous les plaisirs de bouche et de l'âme.

La paille et le moléculaire

La paille et le moléculaire
La paille et le moléculaire

Adieu veaux, vaches et cochons au profit du foie gras en poudre et des ravioli liquides ! La cuisine a tendance à se faire aujourd’hui dans les laboratoires, ceux générés par la grande industrie alimentaire. La blouse blanche remplace le tablier. Les nouveaux chefs se réclament de la gastronomie moléculaire et de ses succédanés.

Son inventeur ? C’est Hervé This, un physico-chimiste de l’INRA, dont les recherches font florès dans le petit monde de la gastronomie en mal d’innovations. Cet apprenti-sorcier est l’apôtre des textures légères, molles et vaporeuses, souvent à base de gelée, de mousses et d’écume, en veux-tu en voilà. Le plus souvent à déguster avec une paille.

Quelle est la part d’émotion et de sensualité dans cette cuisine qui fait la place belle à la science ? Les assiettes que nous servent les gourous de cette « gastronomie » impriment leur effet de mode. Celle que certains appellent déjà « l’architecture du goût ». Un de ses tenants est un designer – Marc Brétillot - qui proposait voilà quelques années, lors d’un colloque au Palais de Tokyo, un menu avec un poisson posé dans une assiette sur une grille avec des bâtonnets de carboglace se dissolvant quand on versait de l’eau chaude dessus, une souris d’agneau accroché à une potence métallique entourée de bougies allumées et autres fantaisies du même genre. Il en est revenu semble-t-il. Heureusement.

 L’expérimentation n’a plus de limites, franchissant sans façon les bornes du bon goût. Nul, cependant, ne saurait nier son importance dans l’évolution de la cuisine. Science et cuisine ont toujours cohabité. Mais les temps sont plutôt consacrés au détournement, au « design culinaire » qui envahit les assiettes, au « ludique ». Alors pourquoi pas le saucisson carré et le pâté en croûte en forme de cœur ou, histoire de laper, les liquides à l’horizontale et les mets à la verticale (certains l’ont déjà fait), ou encore de snifer le beurre blanc en poudre.

Adieu donc casseroles et poêles, que vive désormais l’éprouvette. Et la déconstruction culinaire du produit –cela va bien avec l’enseignement dans les écoles de cuisine qui prônent le prêt à manger, les poissons en filet, les viandes dégraissées, le sous-vide et le surgelé au profit du produit frais et vivant, de sa connaissance dans son intégrité originelle – nouvelle croyance érigée en dogme moderne.

Ceux-là veulent ajouter à la musique binaire – un boum boum bruyant et sans harmonie – dont on nous gratifie dans les tables à la mode, une sorte de charivari des saveurs. C’est oublier, selon le mot de François Rabelais que « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Ignorer le lien entre l’assiette et notre environnement, le paysage rural, les traditions, la biodiversité et l’éducation au goût, c’est sacrifier la gastronomie sur l’autel de la grande industrie alimentaire.

Ne faut-il pas plutôt créer un véritable lien entre les communautés nourricières, les producteurs, et les chefs, avec ceux qui cultivent, qui élèvent, puis, ensuite les distribuer d'une manière permettant de respecter l’environnement, de protéger la santé des consommateurs tout en sauvegardant la dignité des hommes en les rémunérant justement. Le sacro-saint produit – souvent vanté ici ou là dans les bistrots et restaurants par des chefs qui le respecte – de ces hommes qui en sont les artisans, est un contrepoint juste à l’agriculture et l’alimentation industrielles, jouant un rôle de passeur et de sentinelles, loin des débordements de la paille et du moléculaire.

Bon appétit et… large soif !

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