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Le blog de Tout n'est que litres et ratures par Roger Feuilly

Au quotidien, la cuisine selon les saisons, les vins selon l'humeur, la littérature qui va avec, les bistrots et les restaurants, les boutiques qui nourrissent le corps et l'esprit, bref tous les plaisirs de bouche et de l'âme.

Paris, le retour du bistrot de quartier (2, suite et fin)

ABoireetàMangerLe peuple, écrivais-je hier, allait au restaurant comme au théâtre, pour se montrer, plutôt que d’honorer les mets. « Un déclin des appétits », soulignait joliment Jean-Paul Aron. Aussi, le bistrot parisien souffrit de cette situation. Où donc allions-nous mettre la serviette autour du cou – n’est-ce pas Jean Miot – pour manger notre vol-au-vent préféré et sa généreuse béchamel arrosant champignons, ris de veau, crêtes et rognons de coq, écrevisses, voire même truffe, notre pâté comme à Chartres (Eure-et-Loire) en l’hôtel du Grand Monarque de la famille Jallerat, notre bouillabaisse, avec cris et odeurs comme à Marseille (Bouches-du-Rhône) sur la plage des Catalans chez « Michel », nos quenelles de brochet gargantuesques comme jadis au « Bellecour » (Paris 7e), notre cassoulet mijoté qu’il soit de Castelnaudary ou d’ailleurs, notre confit de canard du Périgord, notre pot-au-feu des familles avec lequel nous résistons à l’invasion de la cuisine moléculaire, nos tripes de chez « Ruault » dans le Calvados qui firent la gloire de « Pharamond » (Paris 1er), notre andouillette siglé AAAAA (Association amicale des amateurs d’andouillettes authentiques), notre lièvre à la royale de chez « Sousceyrac » (hélas disparu), notre poularde de Bresse en vessie de l’ami Bobosse au « Quincy » (Paris 12e)? Il risquait d’y avoir marasme. La ville allait-elle devenir le cimetière de ces éléphants disparus ? Non point, il suffisait de se muer en piéton de Paris pour découvrir, au détour d’une venelle, en flânant sur les pavés des vieux quartiers, quelque ami de bouche ouvrant, par-ci par-là, un nouveau bistrot ou en « remettant » (comme on dit en Wallonie) un ancien pour mieux le vénérer encore. Après dix ans d’abstinence, le bistrot est donc revenu en force au début des années 1990, avec des idées simples, retrouvant l’aphorisme de Brillat-Savarin, « la bonne cuisine, c’est lorsque les choses ont le goût de ce qu’elles sont ». L’assiette allait redevenir ce qu’elle aurait toujours dû être, retrouvant le sens du produit, s’inspirant non de la cuisine de jadis, mais de celle sur laquelle le temps n’a pas de prise, la bonne donc, comme l’a toujours dit Paul Bocuse à sa manière : « Il y a deux cuisines, la bonne… et la mauvaise ! ». Le produit du terroir retrouvait sa place, l’idée du menu-carte s’imposait avec ferveur - celui de son inventeur à Paris, le regretté Michel Picquart, d’abord chez « Astier », puis au « Villaret » (tous deux à Paris 11e), était un exemple de probité -, les prix devenaient raisonnables, ceux des vins choisis itou. La nouvelle cuisine avait fait son temps. Paris pouvait prendre son envol autour de la cuisine de terroir. Le goût d’hier, mais avec la manière de l’époque. La cuisine pouvait être bourgeoise et allégée, l’influence d’autres cuisines de pays gourmands se faire sentir, la France se mettait, à l’instar de la capitale, au diapason du bien manger sans se ruiner, du boire bon en se faisant plaisir, déversant ainsi une salve de vraie gourmandise. La coûteuse course à l’échalote des chefs pour l’étoile Michelin avait fait son temps. Les jeunes chefs des années 1990 – sous la houlette de leur chef de file, Yves Camdeborde à « La Régalade » (Paris 14e) – ont ainsi redonner du lustre à la bistrologie parisienne et hexagonale, prônant en quelque sorte un nouveau paradigme culinaire : le choix et le respect des beaux produits, des idées de plats puisés dans le répertoire emblématique de la cuisine, un sens juste des cuissons, des saveurs bien exprimées autant qu’un sens inné de ce devrait être l’auberge de cette fin de siècle. Un bistrot où l’on puise d’abord dans la tradition culinaire française, avec son incontournable technique, mais aussi avec la curiosité qu’elle a toujours manifestée à l’endroit des autres, empruntant notamment aux terroirs du monde. Les bistrots de ce début de XXIe siècle à Paris et aux alentours sont de ceux-là. Ils s’appellent aujourd’hui, pour en citer quelques-uns de manière non exhaustive : «Juveniles » et Au Vieux Comptoir » (1er), « Le Bougainville » et « Saturne » (2e), « Verres de Contact » (5e), « Le Comptoir du Relais » (6e), « L’Abordage », « Graff » (7e), « L’Evasion » et « Le Griffonnier » (8e), « Comptoir Canailles » (9e), « Le Bistrot Paul-Bert », «L’Ecailler du Bistrot », « Le 6 Paul-Bert », « Le Repaire de Cartouche », « Le Servan ») et « Le Villaret » (11e), « A Mi-Chemin », « La Régalade » et « Le Sévéro » (14e), « Coretta » et « Le Goûpil » (17e), « Le Bistrot du Maquis », « Au Rendez-Vous des Chauffeurs » et « Seb’On » (18e), « Le Baratin » (20e), « Le Saint-Joseph » (La Garenne-Colombes), « Chartier » (Levallois-Perret), « Les Colonnes » (Issy-les-Moulineaux). Il y a chez eux non un nouveau souffle, ni même un second, mais, plus prosaïquement un enrichissement. Les bistrots d’aujourd’hui ne livrent pas de la poudre aux yeux, avec d’improbables textures de gelée, des sauces en éprouvettes, des plats virtuels et des poudres à snifer avec une paille. Ils leur préfèrent la cuisine transmise de génération en génération, celle qui a su s’embellir de la part des autres, de celle aussi des techniques nouvelles sans pour autant renier ses traditions. Celle-là, elle se joue au quotidien, au coin de la rue, dans chaque quartier et chaque ville ou village de l’hexagone, avec des chefs en cuisine, un aubergiste en salle, des gourmets à chaque table. Les bistrots l’honorent : il paraît qu’on l’appelle la cuisine française. Alors, bon appétit et… large soif !

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P
Assimiler Saturne (qui a ses qualités et ses défauts) à un bistrot ça me troue un peu le cul
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T
<br /> <br /> Bah c'est quoi alors ? Un grand restaurant façon Lasserre ? Non, bien sûr, mais quand on parle de bistrot, il s'agit plus de l'esprit que de la forme. Très longtemps, "Benoit" de Michel Petit a<br /> été un grand bistrot chic, avec une cuisine idoine, saumon façon harengs, cassoulet, etc. Depuis qu'il a été repris par Alain Ducasse, cet esprit là a été peu ou prou conservé. Saturne, c'est un<br /> peu la même chose, on y propose une cuisine de beaux produits - toujours respectés dans leur goût - servie dans les conditions d'un bistrot au quotidien, dans la simplicité, sans superfétatoire<br /> effet de manche.<br /> <br /> <br /> <br />