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4 Juin 2021
Cette poudre de cari est fabriquée dans la région lorientaise et possède un parfum très caractéristique de clou de girofle. Le kari gosse est commercialisé en petits pots de verre de trois tailles différentes, comme les conditionnements de gélules pharmaceutiques, sous la définition "triple extrait de kari indien".
L'arôme dominant du produit est celui de la girofle, la saveur est peu pimentée. Dans sa composition, hormis le clou de girofle et le curcuma (dont la présence se devine respectivement par l'arôme et la couleur), il n'est pas possible de connaître exactement sa composition, qui reste très secrète.
L'existence de ce cari breton - a priori curieuse - a été, non sans raison, mise en rapport avec l'installation à Lorient de la Compagnie des Indes orientales au XVIIe siècle. Mais l'habitude d'assaisonner les mets d'épices orientales s'était ancrée dans les élites dès le Moyen-Âge.
A partir du XVIe siècle, elle semble même avoir gagné les couches les plus modestes de la population, puisque le Breton Noël du Fail fustige en 1547 les ravages que ce luxe nouveau a créé dans les campagnes qu'il connaît bien. Il dénonce ainsi "poyvre, safran, gingembre, myrabolans à la Corinthiace, muscade, girofle et autres semblables resveries transférées des villes en nos villages" et sans lesquelles "un banquet de ce siècle est sans goust et mal ordonné, au jugement trop lourd de l'ignare et sot peuple".
Aussi la création d'une compagnie destinée à commercer avec les Indes et l'installation de ses entrepôts dans un port qui allait bientôt prendre le nom de Lorient stimulèrent-elles la consommation d'épices en Bretagne, à une époque où le goût commençait ailleurs à s'en perdre. En 1794 encore, Cambry remarque les marchands de Lorient encombrant le grand marché de Quimperlé "par une multitude d'établis, chargés de poivre", entre autres produits.
Toutefois, nous ne trouvons pas de mention précise du cari à Lorient avant 1820 quand une recette de "poivre kari" est ajoutée au célèbre traité de cuisine de Viard. En effet, depuis le début du XIXe siècle, les plats au cari sont à la mode en France, et il n'y a rien d'étonnant d'en voir se développer le commerce chez les apothicaires de Lorient, même s'ils ne possédaient plus le monopole de la vente des épcies.
Aux dires d'Aulagnier, vers la fin du XIXe siècle, c'est toujours chez eux que l'on se procurait l'un des composants principaux de cet assaisonnement - le "poivre enragé" -, même si, en 1898, la vente du cari en apothicairerie semble échapper à l'attention de Seigneurie, qui affirme : "Le carry est vendu en France par le commerce de l'épicerie".
A la fin du XIXe siècle, un pharmacien lorientais, M. Gosse, dépose un brevet pour un mélange d'épices de sa fabrication. Son cari connaît un grand succès. Quelques années plus tard, le brevet et la pharmacie seront achetés par M. Poirou, puis par M. Pouëzat, dont les descendants, continuent la fabrication de la poudre d'épices. La renommée du kari Gosse ne cesse de croître au point que, dans les années 1930 à 1940, il sera exporté en Belgique et au Maroc !
Pendant la Seconde Guerre mondiale, la pharmacie est entièrement détruite, mais le fonds de commerce reste dans les mains de la famille Pouëzat. L'un des fils, Joseph, exploite celui-ci, mais c'est son frère, Ernest, seul à connaître le secret de fabrication, qui réalise le précieux mélange. En 1961, la pharmacie change de propriétaire mais continue de servir de dépôt ; aujourd'hui encore, le pharmacien actuel, M. Pinson, fournit le kari Gosse à toutes les pharmacies de la région lorientaise.
Bon appétit et large soif !
- A lire : L’inventaire du patrimoine culinaire de la France – Bretagne – Albin Michel-CNAC-Région Bretagne. - Vous pourrez aussi déguster un délicieux homard bleu au kari gosse à "L'Ecailler du Bistrot", la table marine de Gwenaelle Cadoret, 22, rue Paul-Bert (Paris11e), tél. : 01 43 72 76 77, ou dans sa version finistérienne au "Bistrot de l'Ecailler", au Port de Kerdruc, à Nevez (Finistère), tél. : 02 98 06 78 60 (jusqu'à fin septembre).