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Le blog de Tout n'est que litres et ratures par Roger Feuilly

Au quotidien, la cuisine selon les saisons, les vins selon l'humeur, la littérature qui va avec, les bistrots et les restaurants, les boutiques qui nourrissent le corps et l'esprit, bref tous les plaisirs de bouche et de l'âme.

Italie : Les Pâques gourmandes du commissaire Ricciardi, ça vous dit quelque chose ?

Italie : Les Pâques gourmandes du commissaire Ricciardi, ça vous dit quelque chose ?

Une semaine avant Pâques, dans la Naples fasciste de 1932, une prostituée de luxe connue sous le nom de Vipera est assassinée dans un bordel de première classe, le Paradiso.
 
C'est ce qu'écrit Maurizio de Giovanni, né à Naples, cadre de tous ses romans, dans "Les pâques du commissaire Ricciardi". Il livre là une Italie fasciste noyée dans la mort et le désespoir, dans une cité gothique où le crime a force de loi. Mais l'appétit et la gourmandise aussi.
 
Cela commence par le ragù* dont l'importance est capitale. Pour la pâte, vous pouvez prendre des cavatelli ou des fusilli, la consistance est la même. Pour le ragù, on mettra la viande  de mouton - pas celle d'agneau - avec ses os, puis des escalopes de porc étalées sur le billot et parsemées de caciocavallo, un fromage d'Italie méridionale à pâte filée, de jambon, de persil (avec la tige), de raisins secs, de sel, de poivre et d'ail, puis roulées et liées avec une aiguille et rissolées pendant quelques minutes dans une poêle avec un peu d'oignon.
 
Et il y aussi la feuille de laurier et la tranche fine de lard autour de malevizzi, ces tendres petites grives capturées dans les feuillages des oliviers, arrosées d'un mélange d'huile d'olive, de jus de citron et de vinaigre blanc.
 
En issue sucrée, le commissaire s'autorise les sfogliagelle, une pâtisserie napolitaine à base de pâte feuilletée, de ricotta et de fruits confits, alors que son adjoint tâtait d'une timbale de macaroni et d'une daurade aux anchois et aux câpres.
 
De toutes les fêtes de l'année, celle de Pâques était celle que Lucia, épouse de l'adjoint du commissaire, préférait.
 
Noël bien sûr était fascinant, avec les pizzas aux oignons, aux anchois qu'il fallait préparer, les crèches et leur ruisseau qui coulait vraiment grâce à un clystère caché sous le carton-pâte, les gâteaux et la table décorée, et les lettres des enfants avec leurs résolutions pour la nouvelle année. Il y avait aussi le jour des Morts, avec le torrone - le nougat - et la fête de Piedigrotta, toute de musique et de chansons.
 
Pâques commençait avec le Carnaval, 41 jours auparavant, avec la préparation du repas du mardi gras: leurs majestés les lasagnes, un plat de roi, avec le ragù et les boulettes de viande, les saucisses et les friarielli, une sorte de broccolis-raves au goût amer typique de Campanie, les foies coupés en petits morceaux emballés dans la rezza, enveloppe obtenue avec l'intestin du porc et parfumée aux feuilles de laurier et, par-dessus tout, le sanguinaccio, la crème au chocolat préparée avec du cacao amer, du lait et du sang de porc, agrémenté de cédrat confit, que les gamins attendaient toute l'année.
 
Pendant quarante jours, la viande était remplacée par les légumes qui laissaient peu de place à l'imagination. Mais Lucia, par ailleurs, se limitait à la préparation des quaresimali, les gâteaux secs de carême aux fruits confits et aux amandes, enrichis d'une pointe de cannelle.
 
Arrivait alors le temps du Jeudi Saint qui imposait la zuppa marinara, la soupe de poissons laquelle avait besoin de moules, de palourdes et de clams. Elle exigeait également des petites seiches et des poulpes.
 
C'est alors seulement que venait le temps des épreuves sérieuses de la cuisine napolitaine : le casatiello, une tourte paysanne en forme de couronne dont la farce est composée de salami napolitain, de fromage (pecorino et provolone) et d'œufs ; et la pastiera - une autre institution - que l'on prépare avec du blé cuit, de la ricotta, des oeufs, des fruits confits, de la fleur d'oranger.
 
Pour cette dernière, on mélange dans la casserole le blé cuit, le saindoux, le lait et le zeste de citron, puis ensuite la ricotta avec les oeufs, la vanille, la cannelle, le sucre et l'eau de fleurs d'oranger. Puis on ajoute au blé cuit dans le lait, la courge et le cédrat confits coupés en petits dés. Ensuite, on étale la pâte brisée au fond du moule à gâteau, en faisant bien attention à ne pas dépasser un centimètre et demi d'épaisseur, creusant ainsi un cratère qui, comme le ventre d'une femme, allait accueillir le mélange de blé et de ricotta parfumé de mille et un ingrédients.
 
En revanche, pendant cette époque - alors que le régime fasciste avait décrété une politique d'autarcie et augmenté les taxes sur les produits importés - les Italiens buvaient peu de vrai café et étaient rivés à l'extrait de café à base de haricots : c'est le surrogato.
 
- "Les Pâques du commissaire Ricciardi", de Maurizio De Giovanni (Einaudi, 2012, Rivages, 2018).
 
Bonne lecture, bon appétit et large soif !
 
*Pour la cuisine, l'ouvrage a été épicé et nourri, du début jusqu'à la fin, par la main savante de Sabrina Prisco, de l'Osteria Canali de Salerne, une ardente militante du Mouvement international Slow Food, dont votre serviteur a été l'un des fondateurs à Paris en décembre 1989.
 
Italie : Les Pâques gourmandes du commissaire Ricciardi, ça vous dit quelque chose ?
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