Au quotidien, la cuisine selon les saisons, les vins selon l'humeur, la littérature qui va avec, les bistrots et les restaurants, les boutiques qui nourrissent le corps et l'esprit, bref tous les plaisirs de bouche et de l'âme.
19 Février 2019
C’est le plus discret des sommeliers de l’hexagone : il s’appelle Philippe Bourguignon. Voilà trois ans qu’il a quitté la direction générale du restaurant Laurent aux Champs-Elysées à Paris (8e), après en avoir été longtemps le chef sommelier, puis le directeur de salle. Il raconte aujourd’hui son parcours à travers un livre qui lui ressemble : « Sommelier à mots choisis ».
Il avait commencé sa carrière au restaurant La Reine Pédauque en 1973 à un moment où j’y allais de temps à autre avec mes parents. Il était là sous la houlette du grand sommelier Jean Frambourt. Puis, il avait rejoint Ledoyen aux Champs-Elysées où il restera jusqu’en 1976. Après un court passage chez Jacques Cagna à Paris 6e, il se présente au culot chez Laurent à Paris 8e, qui vient d’être racheté par le flamboyant Jimmy Goldsmith en 1977. Le restaurant est dirigé par Edmond Ehrlich qui menait son monde avec un volontarisme bonhomme et narquois : Philippe Bourguignon y est rapidement propulsé au poste de chef sommelier à la suite d’une défection et c’est là qu’il deviendrait meilleur sommelier de France en 1978, à 27 ans. Il y restera pendant une quarantaine d’années, assumant en fin de compte la direction générale de la maison.
Dans son ouvrage « à mots choisis », nous naviguons de A à Z. De « Accords », vaste foutaise dans lequel il vante l’accord parfait des vins et des mets, et non l’inverse, à « Zymotechnie » où il raconte l’art de maîtrise la fermentation et d’élever une… Misère, du nom de la parcelle de vigne qu’il a pris en charge dans le Gâtinais près de chez lui et découverte en octobre 2016. Une vieille vigne qui a retrouvé la vie avec un cépage improbable au nom assez peu poétique, H.P.D., mais témoin du passé viticole régional. Une expérience qui se perpétue et qui, les pieds dans la terre, lui permet de comprendre l’alchimie qui se cache derrière le travail du vin, de la vie du vigneron au quotidien, de la météo à accepter, de la nature à maîtriser.
Mais vous voyagerez aussi à L’Auberge de l’Ill en Alsace, dans les coulisses de L’Académie du Vin de France dont il est membre, dans l’atmosphère des brumes de bars, chez Salvador Dali tel qu’en lui-même, chez le Grand Jury Européen de François Mauss, dans l’univers de l’ivresse – et pourquoi pas ? comme dirait Bernard Dimey -, la troisième glorieuse de La Paulée, dans les propos du « parrain » Jacques Puisais, des petites musiques de la vie et du vin distillées par Rostropovtich, du code secret que génère le V.E.P., le vieillissement exceptionnellement prolongé d’une cuvée de Chartreuse, et du zéro dosage champenois.
L’ouvrage de Philippe Bourguignon se lit comme un livre de chevet. Ou comme un vieux champagne qui sait qu’il aura le privilège de l’âge. Assurément sans modération. Bonne lecture, bon appétit et, bien sûr, large soif !
- « Sommelier à mots choisis », de Philippe Bourguignon, avec la complicité de Jean Serroy (préface de Bernard Pivot), Editions Glénat, novembre 2018, 352 pages, 22 €.