Au quotidien, la cuisine selon les saisons, les vins selon l'humeur, la littérature qui va avec, les bistrots et les restaurants, les boutiques qui nourrissent le corps et l'esprit, bref tous les plaisirs de bouche et de l'âme.
4 Avril 2018
Dans le plus célèbre roman de la littérature russe, Eugène Onéguine de Pouchkine, dans les fragments d'un dixième chapitre, la dernière strophe fait allusion au champagne Veuve Clicquot. Lisons et, après avoir vu le magnifique ballet donné par l'Opéra de Paris, essayons ensuite de répondre à la question de savoir comment le champagne est arrivé en Russie :
"Au début ces conspirations
Entre Lafitte et Clicquot
N'étaient que des disputes amicales.
La science rebelle n'entrait pas
Profondément dans les coeurs.
Il ne s'agissait que d'ennui,
C'étaient de jeunes esprits sans emploi,
Des polissons devenus grands qui s'amusaient
On aurait dit...
Noeud à noeud...
Et progressivement d'un réseau secret
La Russie...
Notre tsar sommeillait..."
C'est au début des années 1800 que Nicole Barbe-Clicquot entreprend de poursuivre l'oeuvre de son mari François décédé, propriétaire de vignes et négociant en vins de champagne. "Une seule qualité, c'est la première", telle est la devise de la Veuve, visionnaire de génie, tant par ses initiatives dans l'acquisition de grands crus que dans l'élaboration des cuvées (on lui doit le remuage), que par l'expansion de la marque dans le monde.
C'est elle qui ouvrira le marché russe à l'époque des tsars, singuliers biberonneurs de vin blond. Parce que la Veuve Clicquot, à qui le veuvage n'avait laissé plus que les yeux pour pleurer, avait fait ce raisonnement : les tsars et les grands ducs, de si bons clients, doivent être en manque, puisque le blocus empêchait de rien leur expédier. Aussi pensait-elle qu'il fallait y rémédier. Ipso facto elle affrète un cargo appartenant à un ancêtre d'André Gide et expédie son champagne à Saint-Pétersbourg.
Autre acteur de la présence du champagne, la Maison Louis Roederer qui, dès le milieu du XIXe siècle, alors que la Russie raffole de champagne, y exporte plus du tiers de sa production.
À l'occasion de l'Exposition universelle de 1867 à Paris, un dîner au Café Anglais réunira le Tsar Alexandre II, son fils le futur Alexandre III ainsi que le Kaiser Guillaume accompagné du Chancelier Bismarck. Le seul champagne servi fut un Louis Roederer frappé, qui clôtura ce repas connu comme le Dîner des Trois Empereurs.
Chaque année, la Maison accueillait à Reims le maître de chai de l'empereur de Russie venu participer à l'assemblage de la cuvée de la cour impériale. En 1876, il rapporte une demande expresse d'Alexandre II, qui souhaite que Louis Roederer lui crée une cuvée unique, par sa qualité et par sa forme.
La Maison fait alors appel à un maître verrier flamand qui réalise une bouteille en cristal, transparente et à fond plat. Ce fond plat caractéristique écarte le risque qu'on cache une bombe dans la piqûre de la bouteille, car Alexandre II redoute les attentats. Servies à la cour dans un linge blanc, le col en cristal transparent permet aussi à l'empereur de voir le vin qu'il va boire et d'en apprécier la robe dorée.
La Maison sélectionne alors ses meilleures vignes parmi les sept crus les plus réputés de son vignoble, situés sur des terres calcaires pour apporter au vin une dimension cristalline. Ce choix fait en 1876 est prolongé jusqu'à aujourd'hui et donne à la cuvée Cristal l'équilibre exceptionnel qui la caractérise.
En 1908, Nicolas II rend hommage à la Maison Louis Roederer en lui décernant le brevet de « Fournisseur officiel de la Cour de Sa Majesté l'Empereur ». Depuis lors, les bouteilles de Cristal portent en médaillon les armoiries impériales
En 2016, la Champagne a expédié 306 millions de bouteilles (contre 256 en 1996), dont 151 millions pour la France (52 %), 34 au Royaume-Uni, 20 aux Etats-Unis et un peu moins de 2 en Russie dont le marché n'est plus ce qu'il a été.
Les acteurs du vignoble ont l'habitude de clamer "Quand le champagne va, tout va !". Buvons, buvons, buvons !