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Le blog de Tout n'est que litres et ratures par Roger Feuilly

Au quotidien, la cuisine selon les saisons, les vins selon l'humeur, la littérature qui va avec, les bistrots et les restaurants, les boutiques qui nourrissent le corps et l'esprit, bref tous les plaisirs de bouche et de l'âme.

Le Tortoni, ça vous dit quelque chose ?

Le Tortoni, ça vous dit quelque chose ?
Le Tortoni, ça vous dit quelque chose ?
Le Tortoni, ça vous dit quelque chose ?
éUn ami me demande si, sur le boulevard des Italiens à Paris, le café Tortoni dont parle Alfred de Musset existe toujours. Eh bien non : en lieu et place il y a aujourd'hui le siège de la BNP. Voici donc quelques détails qui éclairent la vie de ce café qui vécut un siècle, le XIXe. Tortoni a été créé fin XVIIIe début XIXe, en 1804 par François-Xavier Tortoni, prenant la place de Velloni, ouvert en 1798, au coin de l'actuel boulevard des Italiens, au 22, à l'angle de la rue Taitbout.

Dès 1809, Tortoni devint célèbre et le fût pendant un siècle, mais eut son heure de gloire sous La Restauration, Louis-Philippe et Napoléon III, avec une apogée de 1830 à 1848. Dans Les Oisifs de Picard, un petit maître détaille le programme de sa journée : "Je vais m'habiller ; une tasse de chocolat chez Tortoni, deux heures de soleil sur une chaise à Coblentz..." On sait que les émigrés revenus ont choisi ce coin du boulevard pour se rencontrer, bientôt baptisé Coblentz par le populaire...

Tortoni avait misé sur le bon côté du boulevard. Car c'est ce côté droit en allant vers la Madeleine qui est devenu à la mode. Dans son Provincial de Paris, Montigny le remarque : "Un étranger qui se tiendrait du côté opposé à celui où est situé le café Tortoni et qui croirait se promener sur le boulevard de Gand commettrait une étrange erreur : la mode n'a jamais adopté qu'un seul côté ; il en est de cet endroit comme des rives du Rhin à Strasbourg : sur une rive France, sur l'autre Allemagne. Il n'y a rien de commun entre le brillant habitué du boulevard de Gand et le promeneur sans prétention qui longe paisiblement le côté des Italiens"...

On y rencontrait George Sand qui y connut son futur mari, Casimir Dudevant, en 1822, les frères Goncourt, Edouard Manet, Talleyrand et son ami le comte de Montrond qui privilégiaient le "petit salon bleu" ou celui du premier étage et s'extasiaient sur les séries d'un certain Spolar, champion de billard après avoir été, au barreau de Rennes, avocat malchanceux... On voyait là, encore, M. de Ballanche, vêtu de noir et cravaté de blanc, y prendre son thé avec des rôties au fromage de Brie avant aller, en omnibus, à l'Abbaye au Bois passer la journée avec Mme Récamier et Chateaubriand.

Quelques dates aussi, mars 1836 : "Le seul Tortoni a débité 100.000 glaces durant le carnaval ; juillet 1837 : "Tortoni, qui est un café le soir devient le matin le meilleur de nos restaurants... Montons au premier étage, c'est là que déjeunent en paix nos plus élégantes célébrités. vous voyez ce buffet entre les deux fenêtres, il est garni de viandes froides, de gelées, de coquilles auxquelles il ne manque que le souffle des fourneaux, choisissez et demandez. La dame de ce comptoir est jolie ; février 1843 : "Qui est donc ce laid personnage que j'aperçois devant Tortoni, demande Albéric Second dans les Mémoires d'un poisson rouge ? C'est un grand banquier, concluait-il..."

Alfred de Musset dépeint aussi le Tortoni de 1840 : "Le boulevard ne commence guère à remuer qu'à midi. C'est alors qu'arrivent les dandys ; ils entrent chez Tortoni par la porte de derrière, attendu que le perron est envahi par les barbares, c'est-à-dire les gens de la Bourse. Le monde dandy, rasé et coiffé, déjeune jusqu'à deux heures, à grand bruit, puis s'envole en bottes vernies... A onze heures et demie (du soir), les spectacles se vident ; on se casse le cou chez Tortoni pour prendre une glace avant de d'aller se coucher. Il s'en compte mille dans une soirée d'été."

C'est aussi un chef du Tortoni, Léonore Cheval, qui mit au point la recette de la selle de veau Orloff, en hommage à un "tortoniste" assidu, le prince Orloff, ambassadeur du tsar Nicolas 1er. La recette s'inspire de celle de la selle de veau Metternich, mais en remplaçant la sauce béchamel par une mornay. Ce fut un des plats préférés d'Eugène Sue, socialiste et millionnaire et qui la fera inscrire par Jules Gouffé parmi les plats du Jockey Club dont il était membre. Tortoni fermera ses portes en 1893.

Tortoni d'ailleurs n'en était plus propriétaire depuis longtemps (il se suicida en 1818) et c'est d'abord son fils qui prît sa succession et, plus tard, la fille de ce dernier, Elisa, avant qu'elle ne confie la maison à une gérance. Dernier écho de cette chute, cette note du 4 juillet 1893, dans le Journal : "Là, en ce centre de Paris, là, au milieu de ces habitations toutes vivantes à l'intérieur, là, en ce plein éclairage a giorno de la ville, sur cette maison portant Tortoni 22, cette maison avec ses trois lanternes non allumées, avec ses volets blancs fermés - avec son petit perron aux trois marches, où dans mon enfance, sur les deux rampes, se tenaient appuyés un moment de vieux beaux mâchonnant un cure-dent, et qui est aujourd'hui désert - il me semble lire une bande de papier où serait écrit à la main : Fermé pour cause de décès du boulevard des Italiens."

Lorsque le Tortoni ferme ses portes, l'International Herald Tribune, lui, annonce : "Tortoni a disparu de Paris aujourd'hui. Le café du coin du boulevard des Italiens et de la rue Taitbout, renommé pendant plus d'un siècle comme le haut lieu des grands noms de la littérature, des arts et de l'aristocratie, sera remplacé par le café Brébant."

 - Lire aussi La Vie parisienne, Cafés et restaurant des Boulevards, 1814-1914, Libraire académique Perrin. (Tableau Edouard Manet).
 
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